10 mai 2010

Cochabamba - CMPCC - 18-23 Avril


Nous sommes venus à Cochabamba pour assister à la première conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la terre mère. Cette conférence, convoquée par Evo Morales, le président bolivien, a pour but affiché de lancer une contre dynamique à Copenhague en redonnant la parole aux peuples.
Cette conférence arrive pour nous un peu à l´improviste dans la mesure où nous avons appris son existence à peine une semaine auparavant. Cela ne fait qu´augmenter notre excitation et notre joie d assister à cet événement d´envergure. Je dis bien assister et non participer. Nous sommes venus ici en spectateur attentif pour écouter et apprendre. Nous ne nous sentons pas encore assez murs et prêts pour réellement militer.
Cette conférence nous permet, presque jour pour jour à la moitié du voyage, de nourrir nos réflexions sur nos convictions et engagements futurs sur des thèmes qui nous tiennent particulièrement à cœur.
Voici donc le récit de nos 4 jours passés à vivre cette conférence de l’intérieur.

1. Le contexte
Cette conférence a pour origine l’échec de celle de Copenhague. Durant les 6 mois d’avant COP15, les chefs d’état des gros pays ont doucement fait monter la pression en déclarant que c’était « le sommet de la dernière chance », qu’il fallait « agir et non débattre », que c’était un « moment historique »… Comme ils en ont maintenant l’habitude, il s’agissait de dramatiser à l’extrême et faire ainsi mieux passer leurs mesures. Des mesures qui présupposent le Marché comme la solution aux problèmes écologiques - et non la cause- et tendent donc vers une marchandisation plus grande de l’environnement. C’est-à-dire faire passer une part plus grande de la responsabilité du changement climatique sur les pays du sud, coupables de ne pas faire les adaptations technologiques nécessaires pour y faire face faute d´un marché encore trop peu développé ou trop contraint; c’est-à-dire promouvoir des solutions purement techniques et financières qui ont plus pour but d’ouvrir de nouveaux marchés, et créer par là même de nouvelles inégalités - que de préserver l’environnement tel que marché carbone, énergie renouvelable ou OGM. Pour les pays développés, l’environnement est avant tout le nouveau relais de croissance indispensable à leur fonctionnement capitalistique sans fin et sans limite, relais de croissance qu’ils veulent évidement étendre au pays en développement via notamment les grandes institutions financières mondiales -FMI et BM en tête.
A Copenhague, la pilule a eu un peu de mal a passer et au final, les gros pays développés ont essayé d’imposer à la dernière minute un simulacre d’accord rédigé à la va vite entre eux. Un accord anti démocratique puisqu’il va à l’encontre des négociations qui avaient lieu depuis 3 jours entre tous les pays et aux engagements très en dessous de ce qu’il faudrait. Les promesses de baisse de gaz à effet de serre et d’aide au pays en développement sont par exemple jugées beaucoup trop basses par de nombreux experts. Un accord une nouvelle fois soutenu par l´ONU, qui se décrédibilise un peu plus. Le jour où l'ONU sera démocratique et fera respecter ses resolutions à tous, les poules auront des dents.

Quelques pays, la Bolivie et le Venezuela en tête, s’y sont fermement opposés et cherchent aujourd’hui à relancer une dynamique. Beaucoup de pays ont du l’accepter « de force » par pression économique et politique des gros. Le Nicaragua c’est ainsi vu refuser une aide des US de 2,5 Millions de dollars parce qu’il avait refuser de signer le traité…
Aujourd’hui, 6 mois après le « sommet de la dernière chance », les gros pays développés ont apparemment oublié l’urgence de l’enjeux. Il se contente d’attendre le prochain sommet de l’ONU à Cancun pour de nouveau essayer d’imposer leurs conditions, convaincus que plus on se rapprochera de 2012, date de fin des engagement de Kyoto, plus ils y arriveront.

2. Les objectifs de la cmpcc
Le sommet de Cochabamba s’inscrit dans la suite de ce processus de contestation du diktat des pays développés sur les questions environnementales et de proposition d’un système alternatif qui permette de faire face de manière efficace, juste et responsable aux problèmes écologiques.
Ce sommet a pour ambition de redonner la parole aux peuples, les premiers concernés par les problèmes écologiques à venir, problèmes qui ne se limitent pas au seul réchauffement climatique et ses conséquences mais sont beaucoup plus larges: dette climatique et coloniale, refugiés climatiques, inégalités nord/sud, partage de l’eau, … des problèmes que l’on n’entend que trop peu dans les pays du nord mais qui sont essentiels et passent avant le reste. Les pays du sud on en effet l’impression d’être les victimes oubliés de changements climatiques qu’ils n’ont pas causé. Comble du comble, on essaye même de les faire passés pour responsable!
L’ambition de la conférence est donc de réunir autour de 17 groupes de travail des experts, des associations et des représentants des peuples et de faire ainsi remonter témoignages et propositions. La déclaration finale s’attachera à synthétiser ces travaux pour identifier les problèmes actuels et leurs causes et proposer plusieurs solutions ou engagement.
Cette déclaration doit servir ensuite de base de travail en vue du prochain sommet de l’ONU à Cancun.

Par peuples, j´entends ici les differentes communautés dont la culture, l identité et l'existence sont chaque plus menacées par les affres de la mondialisation et aujourd hui par le changement climatique. L´esprit de cette conférence, c´est de redonner de la voix à toute ces cultures menacées et en péril car c´est elles qui portent la vraie solution alternative du vivre bien. Vivre bien, c´est vivre en harmonie avec la Terre-Mère. Cela s´oppose au vivre mieux occidental, qui par définition n´a pas de limites et signifie plus chercher continuellement son bonheur plutôt que de le vivre.

L’initiative de Cochabamba est donc dans ce cadre très intéressante. En redonnant de la voix aux peuples et aux associations, ce sommet s’attache à ne pas brûler les étapes et à être le plus démocratique possible. Il a une logique opposée à celle des sommets de la terre de l‘ONU qui ne se font qu‘entre grands dirigeants oubliant trop souvent qui ils représentent.
Elle suscite par ailleurs énormément d’espoir pour les pays du sud dans la mesure où elle est aujourd’hui la seule véritable contre-dynamique à Copenhague. Elle a l’immense responsabilité de représenter les voix du sud.




3. Le déroulement de la cmpcc
Le postulat de départ de cette conférence et qui rassemble la majorité de ces acteurs, c’est qu’avant de s’attaquer aux conséquences du changement climatique comme s’y attachent les pays développés, il faut d’abord s’attaquer à ses causes. Et la principale d’entre elles, c’est le capitalisme et le néolibéralisme occidental.
Il s’agissait donc aussi d’une conférence altermondialiste où le mot anticapitalisme faisait plus que consensus et était répété à l’envie dans chaque discours.
Il n’y a pas a en être surpris. Les pays du Sud, et particulièrement l’Amérique du sud, subissent les lois de l’occident depuis maintenant plus de 500 ans. Lois qui enrichissent énormément les pays du Nord tandis que ceux du Sud n’ont pour seul choix que d’en ramasser les miettes. La colonisation a ici laissé des plaies irréparables et encore ouvertes dans tous les peuples du Sud. On pense particulièrement, puisque nous les avons visitées, aux mines de Potosi, qui ont copieusement financé l’Europe naissante au prix de quelques 6 ou 7 millions de morts indigènes ou à l’évangélisation forcée au prix d’une acculturation sans précédent. Aujourd’hui, c’est le capitalisme qui se charge sous une autre forme mais avec autant d’efficacité d’exploiter et de piller les richesses de ces pays. Les grandes multinationales exploitent les ressources sans que les locaux en voient la couleur et imposent ainsi leur modèle et leurs produits. Le capitalisme, c’est l’histoire d’un modèle qui a besoin de croitre indéfiniment pour vivre. La croissance est le maitre mot, le nouveau dieu, et rien ne peut aller à son encontre. Et la croissance est inégalitaire: il faut bien croître sur le dos de quelqu’un ou quelque chose et les pays du Sud en font les frais.
Mais le but ici n’est pas de faire un cours d’anticapitalisme mais de montrer que la contestation de Cochabamba est beaucoup plus profonde qu’une simple opposition à Copenhague. Il s’agit avant tout d’une remise en cause du système capitaliste, coupable d’être la cause du changement climatique - et non la solution comme les occidentaux le pensent. Copenhague est le catalyseur de cette contestation dans la mesure où il essaye de renverser le problème en posant le capitalisme comme solution et les pays du sud comme coupables. Ce coup ci, pour les pays du Sud, la pilule est un peu grosse avec un gros arrière-gout de déjà vu et aura beaucoup de mal a passer.
On assiste donc a une radicalisation presque forcée des positions. Les discours de lancement d’Evo Morales puis ceux de clôture des représentants du Nicaragua, de Cuba et du Venezuela - Hugo Chavez en personne - le confirment. L’accent était beaucoup plus mis sur la contestation du modèle capitaliste que sur le reste tandis que les modèles socialistes, Cuba en tête, étaient encensés et le discours de l’ONU copieusement hué.
Durant les 3 jours de sommet, nous avons assisté à des conférences d’assez bonne qualité sur des thèmes comme la justice climatique, la dette, le référendum mondial sur le climat, les causes structurelles du changement climatique ainsi qu’à différents événements associatifs. Les groupes de travail ont également travaillé sérieusement sur leurs différents thèmes, tentant de synthétiser autant que possible les nombreuses contributions.
Ces événements témoignent d´abord de l´extrême liberté de parole et d´expression qui régnait durant ces 3 jours. Tout le monde était libre de faire part de ses témoignages et de ses idées. La parole a bien été laissée aux peuples et aux associations et dans la déclaration finale, c’est bien les peuples qui s´expriment et non les dirigeants.
Ces débats, conférences et groupes de travail abordent le problème du changement climatique sous un angle complètement différent de celui auquel nous sommes habitués chez nous. Ici, on parle plus de justice climatique ou de dette coloniale. On fait passer au premier plan le droit des peuples avec le referendum mondial climatique, les problèmes de refugiés climatiques ou de sauvegarde des cultures d’origine. On dit que la terre ne nous appartient pas mais que nous lui appartenons. On invoque la Pachamama, la Terre Mère, divinité qu’il faut respecter et protéger pour qu’elle continue à donner la vie.
Dans les points négatifs, une organisation un peu débordée avec des conférences systématiquement amputée d’une heure et une information pas toujours très fiable. Mais pour une conférence organisée en 3 mois, qui accueille plus de 20.000 participants et qui place le débat au premier plan, ils ne s’en sont pas trop mal sortis.
D´autre part, cette conférence était essentiellement boliviano centrée. Les stands des différents ministères étaient omniprésents, les livres sur Evo Morales étaient dispo partout et certaines conférences n'étaient dédiées qu’au bilan du gouvernement Morales et la nouvelle constitution. Il y aurait la dessus beaucoup de choses à dire mais ce n'est pas le sujet.
Quand on quittait la Bolivie, c était d’abord pour passer aux autres pays socialistes d Amérique du sud, Venezuela, Cuba et Nicaragua en tête d'affiche, avant de passer à l'Amérique du sud. Le reste du monde était malheureusement trop absent des débats. Quelques représentant d’Afrique et d’Alaska étaient bien là, mais ils étaient trop peu pour donner de la voix.
En revanche, au niveau des associations, tous les pays étaient largement représentés.


4. Critiques et avis personnel

Si nous sommes arrivés au sommet avec beaucoup d'envie et d'excitation, nous en sommes repartis un peu sur notre faim, n'ayant pas trouvé tout ce que nous recherchions.
D’une manière générale, nous avons trouvé cette conférence un peu trop boliviano centrée - l'absence de 1500 européens bloqués par le volcan a sans doute augmenté ce sentiment. La majorité des peuples représentés étaient boliviens, la majorité des associations étaient boliviennes, le gouvernement étaient omniprésent à travers discours, conférences et stands de chaque ministère, Evo Morales était continuellement cité en sauveur car leader d un nouveau monde… On avait parfois l' impression que la conférence tournait un peu en dérive populiste au profit du même Evo Morales. Ses discours d’inauguration et de clôture le confirment d'ailleurs.
Si le propos n’est pas de faire le bilan de la politique d’Evo Morales, quelques mises au point peuvent paraitre nécessaires. La politique d’Evo me parait personnellement très séduisante - notamment la nouvelle constitution où la loi anti corruption -, la distribution des richesses se fait beaucoup mieux et les progrès sont visibles. Cependant, si le Evo socialiste marche, le Evo écologiste a plus de mal à passer. La déforestation empire, les projets de grands barrages foisonnent, l’exploitation d’hydrocarbure augmente,… dans les faits, le discours écolo d’Evo a parfois du mal à passer. Mais il faut un début a tout.
D’autre part, nous avons trouvé que la conférence tournait un petit peu trop autour de l’anticapitalisme au point de parfois non plus être une conférence sur le changement climatique mais un sommet altermondialiste. La crise écologique devient un moyen parmi d autres de démontrer la faillite du système capitaliste. Ce positionnement anticapitaliste fort est certes légitime, surtout dans ces pays qui sont marqués depuis 500 ans par ses dérives mais ne m’apparait pas forcément à sa place. Trop souvent, l’anticapitalisme semble être utilisé comme un positionnement de base aux résonnances assez populistes pour mettre en valeur la solution socialiste à la cubaine ou à la bolivienne. On s’éloigne tout de même du problème écologique…
Dernière critique, nous avons trouvé que les débats, groupes de travail ou déclaration finale et plus généralement tout ce qui cherchait a donner du sens à cette conférence restaient trop simplistes et n’allaient pas assez en profondeur. Nous avons souvent dû nous contenter de déclarations certes très vraies mais assez communes sans jamais vraiment réussir à aller au bout des problèmes. La déclaration finale est ainsi une liste de positions certes fortes mais sans rien de concret derrière. On pourrait y mettre ce que l'on veut. Bref, l impression que toutes ces belles déclarations, par ailleurs très intéressantes et instructives, ne sont que des belles phrases et manquent d’un peu d’approfondissement pour pouvoir réellement aboutir sur une vraie alternative.
Ce sommet aura donc été très instructif en nous permettant de recueillir de nombreuses informations sur des mouvements, des idées ou des dynamiques qui nous étaient jusque la presque étrangères -libre a nous ensuite de les creuser - mais n’aura pas été LA révélation bouleversante d’un sommet qui fait le pied de nez à Copenhague que tout le monde attend et propose une réelle alternative. Ce n’était peut être que la première étape et il faudra être encore un peu patient. Ou alors, l’alternative proposée ne me convient pas complètement.
En revanche, ce sommet a été extrêmement intéressant dans la mesure où il pose comme principe de base que la crise écologique n’est que le témoin de nombreuses autres crises plus graves: crise systémique ou structurelle (notamment du capitalisme), crise philosophique, d’identité ou de valeurs, crise politique,… et cherche a construire une alternative crédible. C’est certainement dans la construction de cette alternative que je ne me reconnais pas complètement. Le constat est clair et cette conférence aura été l occasion de faire un « inventaire » détaillé des différents problèmes liés au changement climatique et à leurs origines. En revanche, la solution altermondialiste et néo-marxiste a encore du mal a trouver un écho dans ma petite tête d’européen.
Poser les dérives du capitalisme et du tout marché comme causes principales des problèmes écologiques (entre autres) est une évidence. C’est la construction de la solution qui est plus difficile.
Faut il complètement changer de système et prendre Fidel Castro, Hugo Chavez et Evo Morales comme modèle? Avec les limites qu’on leur connait. Faut il simplement essayer d’adapter un système qui a montré ses limites par plus de régulation et plus d’éducation. Faut il essayer de supprimer tout le superflu et l’inutile pour essayer de revenir à l’essentiel?
Personnellement, je vote pour le dernière solution et la décroissance soutenable. Un prochain article viendra expliquer de quoi il s’agit et des raisons de mon choix.

La declaration finale de la conference et les conclusions des 17 groupes de travail sont dispo sur cmpcc.org

Pilou




Aucun commentaire: